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From June 30 to July 8, 2023
First floor.
Que faire face à l’impossibilité de retourner dans un pays ?
Depuis son adolescence, Eliot Nasrallah redoute l’idée d’un dernier voyage
au pays de ses origines. L’instabilité politique et économique du Liban effraye, pour les « au revoir » qu’elle présage occasionner. Son grand-père et sa famille les ont faits, ces signes de la main, la crainte au bout des doigts d’un pays que l’on cède à sa destruction. Il connaît le manque et la disparition
au travers de leurs histoires, l’inaccessibilité d’un lieu, l’ineffable impuissance, ces douleurs dans la poitrine quand ils les racontent. Entre 2015 et 2019,
Eliot photographie ses moments passés à Beyrouth. Les images pour extraire le réel, sortes de cailloux glissés dans la boîte à souvenir pour ne rien oublier, pour les avoir toujours et au-delà.
Des morceaux, des extraits,
des mondes tout entiers.
L’idée d’un dernier voyage n’en est plus une.
Les bruits sont passés sous silence, quand résonnent les quelques mots de N. Ceux d’une mémoire qui s’efface, d’un pays, que la maladie tait peu à peu. Aux jours suivants l’explosion, Eliot répète alors ce geste photographique, la crainte au bout des doigts d’une statue que le temps emporterait. L’image pour s’approcher de lui, doucement, dans les instants qu’ils leur restent. Le Liban est hors de portée, mais N. est encore là. Les allées et venues d’Eliot à son domicile s’accélèrent alors, il le sait,
Les bruits du pays qu’il porte en lui,
La dernière visite narre ce lien étroit entre le Liban et N.
Entre ces deux monuments que les images permettent à jamais de regarder.
2020. Beyrouth explose sous ses yeux pour la première fois.
Sentir encore la chaleur, les odeurs, les couleurs,
Comment les images pourraient prolonger ou réécrire l’accès à une mémoire qui semble, elle aussi, momentanément suspendue ?
Une mémoire en suspens, un pays qui s’effrite. Parallèle amer, où ce qui semblait éternel s’avère éphémère...
Les images pour seul rempart, maigre remède à l’oubli.
“Tu regardes par la fenêtre, du coin de la porte, par le trou de la serrure.
Tu regardes derrière toi celles que tu laisses. Tu veilles pour t’assurer qu’elles sont encore là, toujours debout, les statues. Tu les touches pour sentir la vie en espérant qu’elle ne les quittera pas, gardien de leur majestuosité et porte-parole de leurs douleurs. Mais un jour, tu le sais, la vie s’en ira. Elle figera sans peine leurs corps et leurs silences,
des bouches laissées grandes ouvertes et sans voix, à fleur de mots, à fleur de maux. Leurs pierres raisonneront, les espaces se videront et tu humeras une dernière fois le jasmin de leurs jardins. Avant
que le présent devienne souvenir, tu regarderas de près et tu garderas tout près, les images. Tu le sentiras, ce dont tu t’approcheras sera dont tu t’éloigneras. Soudain, tu regardes derrière toi, les statues s’évanouissent. Une lumière est au bout du tunnel, rayonnant de
ses derniers éclats, saluant de sa dernière révérence. « À bientôt » te dit-elle. Les parfums, les goûts, la chaleur et les bruits. La lumière s’échappe avec une partie de toi. Mais ne crains pas, les pierres sont encore là, à la portée de tes mains et de tes yeux. Regarde par la fenêtre, du coin de la porte, par le trou de la serrure, les images n’oublient pas ceux qui d’un œil veillent à présent sur toi. Les images sont précieuses. Aux statues qui veillent sur nous.”
À propos:
Eliot Nasrallah vit et travaille à Paris. Il mène une recherche autour des processus d’apparition et de disparition des images. En effectuant des va-et-vient entre procédés argentiques et numériques, sa pratique explore diverses techniques de reproduction à partir d’expérimentations du médium photographique. Entre tirages alternatifs, objets livresques et la conception d’appareils artisanaux,
son travail tente de révéler différentes possibilités plastiques et narratives liées à la représentation du souvenir. Si les séries d’images qu’il déploie tendent parfois vers une forme de mysticité et d’abstraction, les gestes de rapprochement qui les activent semblent participer au montage d’une mémoire en perpétuelle construction. De l’archive personnelle à l’image-document, son travail interroge la capacité des images à témoigner de leurs propres histoires de fabrication. Son projet La dernière visite a reçu un prix photographique dans le cadre d’une collaboration entre Passepartout et le Yogurt Magazine. En 2021, son ouvrage Août 2020, Cher Journal, a été nominé pour le Kassel Dummy Book Award. Depuis 2022, il enseigne les pratiques photographiques et éditoriales à l’école Duperré. Il est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.
L’artiste souhaite remercier chaleureusement l’équipe du 35-37 pour son accueil ainsi que pour sa confiance.
-
Opening: June 29, 6pm - 10pm
Exhibition: June 30 - July 8, 11am - 7pm
First floor - Free entry
From June 30 to July 8, 2023
First floor.
LA DERNIÈRE VISITE [chapitre II] - Eliot Nasrallah
Que faire face à l’impossibilité de retourner dans un pays ?
Depuis son adolescence, Eliot Nasrallah redoute l’idée d’un dernier voyage
au pays de ses origines. L’instabilité politique et économique du Liban effraye, pour les « au revoir » qu’elle présage occasionner. Son grand-père et sa famille les ont faits, ces signes de la main, la crainte au bout des doigts d’un pays que l’on cède à sa destruction. Il connaît le manque et la disparition
au travers de leurs histoires, l’inaccessibilité d’un lieu, l’ineffable impuissance, ces douleurs dans la poitrine quand ils les racontent. Entre 2015 et 2019,
Eliot photographie ses moments passés à Beyrouth. Les images pour extraire le réel, sortes de cailloux glissés dans la boîte à souvenir pour ne rien oublier, pour les avoir toujours et au-delà.
Des morceaux, des extraits,
des mondes tout entiers.
L’idée d’un dernier voyage n’en est plus une.
Les bruits sont passés sous silence, quand résonnent les quelques mots de N. Ceux d’une mémoire qui s’efface, d’un pays, que la maladie tait peu à peu. Aux jours suivants l’explosion, Eliot répète alors ce geste photographique, la crainte au bout des doigts d’une statue que le temps emporterait. L’image pour s’approcher de lui, doucement, dans les instants qu’ils leur restent. Le Liban est hors de portée, mais N. est encore là. Les allées et venues d’Eliot à son domicile s’accélèrent alors, il le sait,
le quotidien qu’il leur reste est précieux.
Les bruits du pays qu’il porte en lui,
respirer encore sa vie et ce qui les unit avant qu’il ne s’évanouisse.
La dernière visite narre ce lien étroit entre le Liban et N.
Entre ces deux monuments que les images permettent à jamais de regarder.
2020. Beyrouth explose sous ses yeux pour la première fois.
Sentir encore la chaleur, les odeurs, les couleurs,
Comment les images pourraient prolonger ou réécrire l’accès à une mémoire qui semble, elle aussi, momentanément suspendue ?
Une mémoire en suspens, un pays qui s’effrite. Parallèle amer, où ce qui semblait éternel s’avère éphémère...
Les images pour seul rempart, maigre remède à l’oubli.
“Tu regardes par la fenêtre, du coin de la porte, par le trou de la serrure.
Tu regardes derrière toi celles que tu laisses. Tu veilles pour t’assurer qu’elles sont encore là, toujours debout, les statues. Tu les touches pour sentir la vie en espérant qu’elle ne les quittera pas, gardien de leur majestuosité et porte-parole de leurs douleurs. Mais un jour, tu le sais, la vie s’en ira. Elle figera sans peine leurs corps et leurs silences,
des bouches laissées grandes ouvertes et sans voix, à fleur de mots, à fleur de maux. Leurs pierres raisonneront, les espaces se videront et tu humeras une dernière fois le jasmin de leurs jardins. Avant
que le présent devienne souvenir, tu regarderas de près et tu garderas tout près, les images. Tu le sentiras, ce dont tu t’approcheras sera dont tu t’éloigneras. Soudain, tu regardes derrière toi, les statues s’évanouissent. Une lumière est au bout du tunnel, rayonnant de
ses derniers éclats, saluant de sa dernière révérence. « À bientôt » te dit-elle. Les parfums, les goûts, la chaleur et les bruits. La lumière s’échappe avec une partie de toi. Mais ne crains pas, les pierres sont encore là, à la portée de tes mains et de tes yeux. Regarde par la fenêtre, du coin de la porte, par le trou de la serrure, les images n’oublient pas ceux qui d’un œil veillent à présent sur toi. Les images sont précieuses. Aux statues qui veillent sur nous.”
À propos:
Eliot Nasrallah vit et travaille à Paris. Il mène une recherche autour des processus d’apparition et de disparition des images. En effectuant des va-et-vient entre procédés argentiques et numériques, sa pratique explore diverses techniques de reproduction à partir d’expérimentations du médium photographique. Entre tirages alternatifs, objets livresques et la conception d’appareils artisanaux,
son travail tente de révéler différentes possibilités plastiques et narratives liées à la représentation du souvenir. Si les séries d’images qu’il déploie tendent parfois vers une forme de mysticité et d’abstraction, les gestes de rapprochement qui les activent semblent participer au montage d’une mémoire en perpétuelle construction. De l’archive personnelle à l’image-document, son travail interroge la capacité des images à témoigner de leurs propres histoires de fabrication. Son projet La dernière visite a reçu un prix photographique dans le cadre d’une collaboration entre Passepartout et le Yogurt Magazine. En 2021, son ouvrage Août 2020, Cher Journal, a été nominé pour le Kassel Dummy Book Award. Depuis 2022, il enseigne les pratiques photographiques et éditoriales à l’école Duperré. Il est diplômé de l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.
L’artiste souhaite remercier chaleureusement l’équipe du 35-37 pour son accueil ainsi que pour sa confiance.
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Opening: June 29, 6pm - 10pm
Exhibition: June 30 - July 8, 11am - 7pm
First floor - Free entry